Le projet

Mémoire et Usages des récits et images du Mal (MUM)

Ce carnet de recherche rendra compte des développements du projet MUM qui vise à observer la construction de la mémoire des violences traumatiques liées aux guerres civiles de 1562 aux lendemains de la révocation de l’Édit de Nantes.

Les enjeux : De la violence à la mémoire du scandale, de 1562 aux lendemains de la Révocation de l’Édit de Nantes

L’ouvrage intitulé La Mémoire des guerres de religion La concurrence des genres historiques (XVIe-XVIIIe siècles) édité par Jacques Berchtold et Marie-Madeleine Fragonard (Genève, Droz, 2007) montre la diversité des genres porteurs d’une mémoire de la violence des guerres civiles de la Renaissance : les libelles ou pamphlets, les ouvrages qui se disent proprement historiques (La Popelinière, Scipion Dupleix…), les mémoires (Monluc, Pierre de l’Estoile…) difficiles à distinguer parfois de ce que Cécile Huchard appelle compilations pamphlétaires, la tragédie (contribution d’Hélène Merlin-Kajman) ou encore la nouvelle historique étudiée par René Démoris. Dans l’introduction à cet ouvrage, Marie-Madeleine Fragonard rappelle deux éléments sans doute essentiels : « les mémoires collectives s’alimentent à des sources qui ne sont jamais monovalentes » (p. 23) et la « circulation des informations d’un genre à l’autre et d’un code à l’autre est frappante » (p. 28). Dans ce volume, chaque étude porte principalement sur un genre. Pour progresser dans l’observation de la genèse des « mémoires collectives » dont parle Marie-Madeleine Fragonard, il nous paraît important de constituer un corpus textuel et iconographique pour observer, d’un genre à l’autre, non seulement la circulation des informations, mais aussi la circulation d’invariants formels ou encore des procédés de déplacements qui permettent de dire la violence en désamorçant le caractère potentiellement traumatique de sa représentation1. Comme l’ouvrage fondateur de Denis Crouzet (Les Guerriers de Dieu, La Violence au temps des troubles de religion vers 1525-1610, Paris, Champ Vallon, 1990), le projet MUM (Mémoire et usages des récits du Mal) ne se donne pas pour objet des faits, mais une « violence historiquement relatée et représentée » (ibid., p. 49) ; mais, dans le cadre de ce projet, il s’agira non plus d’expliquer cette violence, mais de voir comment se construit collectivement cette mémoire composite des faits traumatiques2.

La pensée du « scandale », notion qui relève aussi bien de la théologie, de la morale que du droit constitue un des points importants de ce projet3. Au sortir des guerres civiles, le scandale devient « un registre permettant de rendre visible, sinon compréhensible, la transgression d’une norme » (Stéphane Vandamme, p. 231), créant par-là même un « espace de scandalisation » qui interpelle les contemporains, les appelle à réagir en fonction de valeurs communes qui sont fragilisées et interrogées par les événements traumatiques. Ce projet vise donc aussi à observer comment des textes tels que les libelles, les chroniques, les mémoires, les nouvelles historiques contribuent à la fabrique du scandale qui imprimera durablement les mémoires collectives. Enfin, la constitution de cette anthologie ou corpus transgénérique de récits et de représentations à caractère scandaleux permettra d’observer la porosité entre genres historiques et littéraires4 et de redéfinir leur rôle respectif dans la construction de cette mémoire collective. La création de ce corpus passe dans un premier temps par la nécessaire définition de ce qu’on entend par « récit scandaleux », qui fera l’objet de la journée du 8 février 2019. La journée du 14 juin 2019 permettra de mieux appréhender le caractère composite de la mémoire des faits violents en observant des cas de circulation et de transformation d’images et de récits scandaleux.

L’atelier de lancement et les journées des 8 février, 5 avril et 14 juin 2019 auront lieu à la MESHS (Maison Européenne des Sciences de l’Homme et de la Société) : 2 Rue des Canonniers, 59 000 Lille.
Programme 2018-2019.

L’équipe et les institutions-partenaires :

Ce projet est co-financé par la MESHS de Lille, par le laboratoire CALHISTE (Université Polytechnique Hauts-de-France, désormais UPHF) et l’IUF, grâce à la collaboration d’Enrica Zanin (Université de Strasbourg).

Responsable : Blandine Perona 
Organisation: Yves Junot (UPHF) et Blandine Perona (UPHF), avec la collaboration de Enrica Zanin (Strasbourg, IUF).

Participants : 

Louise Amazan (BnF, Paris) ; Mathilde Bernard (Paris Nanterre) ; Emily Butterworth (King’s College London) ; Thibault Catel (Limoges) ; Marianne Closson (Université d’Artois) ; Denis Crouzet (Paris-Sorbonne) ; David El Kenz (Université de Bourgogne, Dijon) ; Erika Kuijpers (Vrije Universiteit Amsterdam) ; Ullrich Langer (Madison, Wisconsin) ; Mathieu Mercier (Université Polytechnique Hauts-de-France) ; Isabelle Moreau (ENS Lyon) ; Anne-Pascale Pouey-Mounou (Paris-Sorbonne, IUF) ; Anne Réach-Ngô (Haute Alsace, IUF) ; Solange Segala de Carbonnières (UPHF) ; Violet Soen (KU Leuven) ; Alexander Soetaert (KU Leuven) ; Zoé Schweitzer (Université Jean Monnet, Saint-Étienne).

  1. Voir sur ce point les travaux d’Hélène Merlin-Kajman : sa contribution dans le livre précédemment cité et son livre, L’animal ensorcelé : traumatismes, littérature, transitionnalité, Paris, Ithaque, 2016. Voir également les travaux de Boris Cyrulnik et en particulier : « Mémoire traumatique et résilience », Mémoire et mémorialisation, De l’absence à la représentation, dir. Denis Peschanski, Paris, Hermann, 2013,p. 133-143. []
  2. Denis Peschanski en appelle à un changement de paradigme dans les Memory Studies etsouhaite, pour ce faire, une transdisciplinarité dans l’étude de la construction d’une mémoire sociale et l’on ne peut qu’abonder dans son sens (« Pour un changement de paradigme en Memory Studies », Les Chantiers de la mémoire, dir. Denis Peschanski et Denis Maréchal, Paris, INA éditions, 2013, p. 5-27). Le livre, Les Chantiers de la mémoire, met notamment en avant la nécessaire collaboration entre histoire, psychanalyse, sociologie, anthropologie et neurosciences. Les spécialistes de littérature en revanche ne sont pas sollicités, bien que Boris Cyrulnik avec qui Denis Peschanski collabore régulièrement convoque souvent le concept emprunté à Ricœur d’« identité narrative » (par exemple, dans l’article déjà cité, « Mémoire traumatique et résilience »). []
  3. Voir les contributions de François-Xavier Petit, « Dire et ne pas dire. Le scandale de l’iconoclasme protestant de 1562 par Charles de Bourgueville », Hypothèses 2013/1 (16), p. 191-201, et de Stéphane Vandamme, « L’éternel retour du scandale ? », ibidem, p. 227-233. Sur l’acception théologique du mot « scandale », voir les travaux d’Anne-Pascale Pouey-Mounou : « Calvin et le scandale », Calvin insolite, éd. F. Giacone, Paris, Classiques Garnier, 2012, p. 77-91 ; Panurge comme lard en pois. Paradoxe, scandale et propriété dans le Tiers Livre, Genève, Droz, 2013 ; ainsi que ceux de Mathilde Bernard : « Par qui le scandale arrive-t-il ? La querelle entre Calvin et les évangéliques », Le Temps des querelles, Littératures classiques, 81, 2013, p. 25-35 ; « La conversion de Pierre-Victor Palma Cayet ou le règne du scandale », Calliope et Mnémosyne, mélanges offerts à Gilbert Schrenck, sous la direction de Jean-Claude Ternaux et Cécile Huchard, Paris, Garnier, 2017, p. 157-173. []
  4. Les recherches récentes sur l’anecdote ont permis aussi d’observer cette porosité : « on la retrouve dans l’écriture historique et celle des mémoires, dans les textes judiciaires, les écrits de polémique, les traités d’éducation, les sermons, les correspondances, les récits de voyages, la presse, les textes théologiques et scientifiques […] Elle “introduit de la fiction dans un texte non-fictionnel” » (Gaël Rideau, « L’anecdote entre littérature et histoire : une introduction», L’Anecdote entre Littérature et Histoire à l’époque moderne, Rennes, PUR, 2015, p. 11). Voir aussi le livre de Karine Abiven (L’Anecdote ou la fabrique du petit fait vrai de Tallement des Réaux à Voltaire (1650-1750), Paris, Classiques Garnier, 2015) qui cite cette phrase de Louis Brownlow dans sa conclusion : « Une anecdote est simplement un petit éclat d’expérience que les temps et la redite ont transformé en art » (ibid., p. 405). []
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